Quand le folklore masque l’horreur : À Borkum en Allemagne, des femmes traquées et violentées par des hommes lors de la « fête » du Klaasohm le 5 décembre
Ecrit par Nellyle 5 décembre 2024
Imaginez une île balayée par les vents, ancrée dans les traditions et bercée par le murmure des vagues. Chaque 5 décembre, l’île allemande de Borkum se transforme en un théâtre étrange où folklore et polémique s’entrelacent : des hommes, grimés et vêtus comme des personnages d’un autre temps, chassent les femmes en brandissant des cornes […]
Imaginez une île balayée par les vents, ancrée dans les traditions et bercée par le murmure des vagues. Chaque 5 décembre, l’île allemande de Borkum se transforme en un théâtre étrange où folklore et polémique s’entrelacent : des hommes, grimés et vêtus comme des personnages d’un autre temps, chassent les femmes en brandissant des cornes de taureau. Ce rituel, connu sous le nom de Klaasohm, traverse les générations depuis près de deux siècles. Mais à quel prix ?
Une tradition qui divise : entre folklore et violences déguisées
Le Klaasohm, à première vue, ressemble à une mascarade bon enfant, une fête de village où le folklore local prend vie. Les hommes déguisés, censés représenter des figures mythologiques de la saison hivernale, jouent un rôle théâtral en « pourchassant » les femmes dans les rues de l’île. La récompense ? Un gâteau au pain d’épices, symbole de réconciliation après une chasse effrénée. Mais derrière les sourires et les rires se cache une autre réalité. Plusieurs femmes, interrogées anonymement, ont rapporté des violences qui dépassent largement le cadre de l’amusement. Des coups infligés avec des cornes de taureau, laissant des bleus et des douleurs persistantes. Où commence l’acceptable sous couvert de tradition, et où s’arrête le respect du corps et du consentement ?
Il est légitime de s’interroger : pourquoi ces pratiques, qui semblent ancrées dans un autre siècle, persistent-elles à l’ère de #MeToo ?
Pourquoi tant de résistances locales face à une remise en question qui paraît pourtant évidente pour nombre d’entre nous ? Ces coutumes révèlent souvent des tensions plus profondes, entre l’attachement identitaire à un passé commun et les évolutions nécessaires vers une société plus juste. Les habitants de Borkum, en majorité favorables au maintien du rituel, invoquent souvent l’argument de « l’esprit communautaire » et de « l’innocence festive ». Mais peut-on réellement parler d’innocence lorsque le consentement est bafoué et que la violence est banalisée ?
Consentement et traditions : un dialogue qui s’impose
Dans ce débat, le mot « consentement » devient central. Il agit comme un prisme à travers lequel analyser non seulement cette tradition, mais aussi tant d’autres pratiques à travers le monde. Qu’il s’agisse de rituels religieux, de fêtes populaires ou de dynamiques sociales, le consentement doit être une boussole morale infaillible. Pourtant, sur Borkum, il semble relégué au second plan, éclipsé par le poids de l’habitude.
Comment expliquer que, malgré des témoignages de femmes affirmant avoir subi des violences, certains défendent encore ardemment ce rituel ? Cela reflète peut-être une peur plus large : celle de perdre une partie de son identité collective, de voir disparaître ce qui faisait autrefois la singularité d’une communauté.
Mais ne serait-il pas temps de poser une question fondamentale : la préservation des traditions doit-elle primer sur la sécurité et le respect des individus ?
Ce que révèle cette situation, c’est l’importance de remettre en question les normes implicites qui entourent nos pratiques culturelles. Parfois, il suffit de se demander : « Et si je n’étais pas d’accord ? » ou encore « Et si cette tradition touchait directement quelqu’un que j’aime ? » Ces réflexions simples peuvent ouvrir la voie à un dialogue plus honnête, où traditions et modernité cohabitent sans que l’une n’écrase l’autre.
L’impact psychologique des pratiques sexistes sous couvert de folklore
Le Klaasohm n’est pas qu’un événement festif : il est aussi une mise en scène d’un rapport de pouvoir profondément genré. Les femmes, bien que parfois participantes volontaires, sont dans une position de vulnérabilité face à des hommes investis d’un pouvoir rituel. Même si certains habitants insistent sur le caractère ludique de la pratique, l’impact psychologique sur les femmes ne peut être ignoré. Être poursuivie, frappée, même sous prétexte de folklore, peut raviver des traumatismes ou créer un sentiment d’humiliation durable.
Ces dynamiques résonnent au-delà des frontières de Borkum. Elles s’inscrivent dans un paysage global où les femmes continuent de lutter contre des comportements normalisés, mais profondément intrusifs. Le Klaasohm, dans sa forme actuelle, participe à cette banalisation : il suggère que, sous prétexte de tradition, le consentement devient optionnel, que la violence peut être « déguisée » en plaisanterie. Mais peut-on vraiment rire de tout, sans se soucier de l’impact sur autrui ?
Comment déconstruire le sexisme dans les traditions ?
Réviser une tradition ne signifie pas l’effacer. Cela peut signifier l’adapter, la réinventer pour qu’elle soit alignée avec les valeurs actuelles d’égalité et de respect. Sur Borkum, certaines voix commencent à s’élever en faveur d’une réforme. Le Borkum Lads Club a récemment annoncé vouloir supprimer la dimension violente de l’événement, tout en conservant son caractère festif. Est-ce suffisant ? Peut-être. Mais une réforme sincère nécessite aussi une prise de conscience collective : celle d’abandonner les justifications culturelles pour embrasser une responsabilité commune envers le bien-être de chacun.
De nombreuses fêtes à travers le monde ont déjà pris ce virage. La course des taureaux à Pampelune, par exemple, fait face à des pressions croissantes pour limiter ses risques, tant pour les humains que pour les animaux. Les habitants de Borkum pourraient s’en inspirer : créer une nouvelle version du Klaasohm, qui célèbre leur patrimoine sans perpétuer les violences d’un autre temps.
Le Klaasohm, finalement, nous interpelle tous. Il nous invite à réfléchir à la manière dont nous équilibrons tradition et progrès. Chaque communauté, chaque culture, porte en elle des coutumes qui méritent d’être revisitées à la lumière des valeurs actuelles. La question n’est pas seulement de savoir si une pratique est acceptable, mais aussi de comprendre comment elle reflète – ou déforme – les rapports humains.
Alors, pourquoi ne pas utiliser cette controverse comme un point de départ pour un dialogue plus large ? Pourquoi ne pas interroger nos propres traditions, nos propres habitudes, et nous demander : servent-elles toujours l’intérêt de tous, ou simplement celui d’une époque révolue ? C’est dans ces questions, et les réponses que nous y apportons, que se joue la véritable modernité.