Les violences éducatives : la fessée, les claques, les tapes…
Ecrit par Justine Andansonle 9 mai 2011
Le sujet fréquemment prétexte à la dérision de par son caractère grivois, est souvent évité ou discrédité. Chacun mettant en avant ses craintes et ses résistances afin de ne pas réfléchir, de ne pas voir que le débat est loin d’être stérile ou futile, mais que cette pratique a une influence sur les adultes que […]
Le sujet fréquemment prétexte à la dérision de par son caractère grivois, est souvent évité ou discrédité. Chacun mettant en avant ses craintes et ses résistances afin de ne pas réfléchir, de ne pas voir que le débat est loin d’être stérile ou futile, mais que cette pratique a une influence sur les adultes que nous sommes devenus et donc sur la société dans laquelle nous vivons.
Bien que le mouvement anti-châtiment corporel ne soit pas récent, Victor Hugo s’exprimait déjà à ce sujet, la pratique des punitions corporelles reste source d’une grande ignorance, même si chacun s’érige en expert en faisant de son histoire une généralité : « Moi j’ai reçu des baffes toute ma vie, et j’en suis pas morte, en plus ma mère avait la main lourde, mais je l’aime quand même ! Et puis je me souviens, j’étais infernale ! »
Ce constat personnel suffit très souvent à faire écran à la réflexion. Car ce qui est mis en avant est la peur de remettre en cause les parents que nous avons eu, nos relations affectives, la honte des coups reçus, le droit à ces enfants devenus adultes d’appartenir enfin au groupe qui a le droit de frapper à son tour.
La plupart des enfants ont reçu des punitions corporelles, près de 85% des français et près de 90 à 95% dans les autres parties du monde. Les punitions corporelles, ou les violences éducatives, peuvent aller de la bastonnade à la fessée, il s’agit d’atteindre le corps de l’enfant par la douleur afin de lui faire comprendre quelque chose, pour l’éduquer. Et les adultes ont été très créatifs pour fabriquer des objets dédiés à cette pratique, les nerf-de-bœuf, les queue de raie, la planche à fesser, les orties, le martinet…
La plupart des nations occidentales ainsi que le Japon, l’Indonésie, le Burkina Fasso et l’Afrique du sud ont interdit cette pratique au sein de l’école. En France, aucun professionnel, de l’assistant maternel au professeur de lycée n’a le droit de lever la main sur un enfant. Ce qui fait de la fessée, de la claque le privilège des parents. Par ailleurs on peut s’interroger sur le fait que les enfants soient le seul groupe social qu’il est permis de punir physiquement. En effet, les adultes, qu’ils soient libres ou prisonniers, civil ou militaire, efficace au travail, en couple,… sont tous protégés par la loi. « Pourtant, pour des comportements dus à leur âge ou à leur immaturité psychique, nous trouvons normal de gifler un enfant. »
« La première fessée que j’ai mise à mon fils, c’était un vendredi soir, je n’en pouvais plus j’étais épuisée, et lui du haut de ses 13 mois était en pleine forme et n’était pas décidé à se rendormir ! Et c’est vrai que lorsque mon mari a une insomnie et bien … On parle. » Olympe, 32 ans
L’ouvrage d’Olivier Maurel est très instructif à ce sujet. De par les questions qu’ils posent et auxquelles il tente de répondre, on comprend que les effets et les risques induits par les punitions corporelles connaissent plusieurs temporalités.
La nocivité des fessées, des claques et des tapes peut être immédiate ou à long terme. Peu importe la puissance de l’impact, parfois l’application de la frappe suffit à créer des traumatismes directs, comme la perforation des tympans, la lésion d’un oeil, des torsions testiculaires, ou des hématomes sur les cuisses, les fesses ou les mains, qui peuvent par leur répétition léser muscles et tendons.
Pour ceux qui demeurent sceptiques devant ces faits, peu souvent relayés, l’étonnement sera grand à la découverte des conséquences à long terme des violences éducatives, encore plus méconnues du grand public.
Jacqueline Cornet a effectué une recherche en France en 1995 sur des jeunes accidentés de la route, elle a pu » établir une relation étroite entre la force, la fréquence et la durée des coups reçus en famille à titre éducatif et le nombre d’accidents subis dans l’enfance et l’adolescence. » Le site ni claque ni fessée est extrêmement bien conçus et permet à tout un chacun d’aller au-delà de ses résistances pour découvrir, que les punitions corporelles sont en lien également avec certains comportement ultérieurs, comme l’agressivité à l’égard des autres ou retournée contre soi, l’incohérence, la soumission, mais aussi la dépression, la délinquance, la baisse du QI…
Pour comprendre ces liens de causalité, il importe de comprendre comment agissent les punitions corporelles.
Tout d’abord, il s’agit avant tout d’une communication à contre-sens, dans la mesure où cela va à contre-sens de la communication, puisque qu’en donnant une fessée on écarte l’autre comme sujet, et donc par conséquent, on ne met plus grand chose en commun avec lui. Il s’agit d’une communication paradoxale également, puisque ce que le parent pense donner comme information à son enfant, dépasse complètement ce qu’il pensait. Le parent ainsi, peut avoir envie de signifier qu’il se sent concerné par ce qu’il se passe, qu’il a tout essayé, qu’il est humain et non pas un robot, que cette punition est même une forme d’amour, puisque c’est pour prendre soin de son enfant, lui apprendre quelque choses, comme des limites, du respect…
Mais finalement le parent apprend aussi que pour faire respecter des règles, il faut parfois s’en affranchir, qu’attaquer le corps de l’autre est un bon moyen pour régler définitivement un conflit, que les plus grands peuvent taper les plus petits, qu’ils ont mal et qu’ils sont vexés mais que c’est pour leur bien. Alors imaginez la confusion dans la tête de l’enfant qui comprend successivement, qu’il a mal, que son père ou sa mère lui a fait mal, mal pour lui faire du bien et que finalement non il a pas mal, puisque c’est pour son bien. Qu’il faut avoir mal pour aller bien…. Comme l’écrit si justement Alice Miller dans son ouvrage, C’est pour ton bien.
L’image que l’enfant a de lui-même est douloureusement éprouvée sous couvert d’une souffrance anonyme, celle du corps et de l’humiliation, il a subi la première violence par ses parents ou par une personne qui prend soin habituellement de lui, il a lui-même vécu l’utilisation de la violence à des fins utiles et surtout comme exutoire des émotions, de la colère. Il a appris comment le corps vient en lieu et place de la parole. Ainsi au fur et à mesure de ces expériences, l’enfant apprendra à utiliser son corps au lieu de dire les choses. Son corps sera le témoin, de ce qui l’étreint et de ce qu’il a parfois même du mal à mettre en mot au sein de sa propre pensée. L’enfant et le futur adulte pour certains, s’écarteront de leur propre sensibilité, et parfois même de celle des autres, ils n’essaieront pas de comprendre ce qui se passe chez les autres.
Pour conclure, il est important que comprendre qu’abandonner les fessées comme moyen d’éducation, ce n’est pas abandonner l’éducation en elle-même, ce n’est pas de venir laxiste ou masochiste. Les limites sont un savoir essentiel à transmettre à ses enfants afin qu’ils ne soient pas dépassés par les frustrations inhérentes à la vie en société, qui elle est faite de compromis et donc de frustration. Les parents trop permissifs n’offriraient pas à l’enfant la possibilité de mettre en scène et de gérer ses frustrations pour grandir et éprouver ses désirs. L’enfant a le droit d’être en colère, même si on lui a bien expliqué ce qu’il se passait, il a droit de ne pas être d’accord et de l’affirmer, il a le droit d’avoir des goûts différents de ses parents, cela ne constitue en rien un caprice.
Avoir un autre regard sur l’enfant, participe aussi au fait de ne pas se retrouver enfermé dans sa colère de parent. Pourtant tant de mères et de pères considèrent que l’enfant fait sa colère, les manipule parce qu’il arrête de pleurer dès qu’il est dans les bras, mérite une fessée parce qu’il veut les faire céder … La première violence est souvent l’interprétation que l’on a de l’enfant et de ses besoins. L’enfant est trop souvent mis en position de manipulateur, qui veut faire craquer ses parents.
Lorsque l’on observe comment cela se passe dans les pays qui ont adopté cette loi anti-fessée, on comprend que cela a une influence dans différents domaines de la vie sociétale. Ainsi cette loi a été efficace car elle n’était pas répressive, mais elle confiait le soin aux services sociaux d’accompagner les parents vers une parentalité plus sereine pour l’ensemble de la famille. Elle apprends à faire en sorte que le rapport de force ne soit plus le modèle relationnel familial, et que le conditionnement ne soit pas au cœur de l’éducation. Ainsi l’enfant apprend à respecter les règles parce qu’il a compris en a compris le sens et l’intérêt pour lui. De fait, il n’obéit pas par crainte de la fessée, ce qui a pour conséquence d’obéir par peur, mais le jour où il n’aura plus peur, il n’aura pas pour autant intégré le rôle et l’importance des limites, qui alors voleront en éclats !
Depuis que la loi a été active, en 1979, alors que 53% des Suédois y étaient favorables, 30 ans plus tard désormais près de 90% se prononcent satisfaits. Il y a de fortes raisons pour en être satisfait, comme nous l’indique l’association Ni claque ni fessées, depuis aucun enfant n’est mort sous les coups de ses parents, alors qu’il en meurt 2 par jour en France, le nombre de procès pour maltraitance a diminué, le nombre de placement d’enfants a diminué de 46% …Autant d’informations qui sont intéressantes à consulter sur le site de l’association.
En conclusion, cette loi est loin d’être une nouvelle lubie des psy, mais s’inscrit dans une longue réflexion de plusieurs siècles. Elle ne fait en rien l’apologie de l’enfant roi. Bien au contraire, elle tente de replacer un peu d’équité dans le statut de chacun des membres de la famille, les rendant tous sujets, et non plus objet de la colère de certains. L’enfant ne sera plus la dernière personne qu’il sera autorisé de frapper. Et enfin la parole sera au cœur des échanges familiaux, déchargeant le corps du lourd poids de porter et supporter les maux et les mots.
Par Zoé Piveteau