Judith Godrèche et Benoît Jacquot : le combat d’une vie

Dans la lignée d’Adèle Haenel et grâce au mouvement Metoo, la parole des victimes de violences sexuelles n’en finit plus de se libérer. Début janvier 2024, c’est l’histoire de Judith Godrèche et Benoît Jacquot qui est venue relancer la question du consentement et des relations abusives. Si la plainte de Judith Godrèche risque fort d’être frappée de prescription, son combat va plus loin que sa propre histoire.

Judith Godrèche et Benoît Jacquot : emprise et bad buzz

Fin décembre 2023, paraissait la série « Icon of French cinéma », de et avec Judith Godrèche. Elle raconte les aventures d’une actrice dont la fille adolescente tombe amoureuse de son professeur. Ce qui la renvoie à sa propre jeunesse, quand elle était une jeune actrice qui vivait en couple avec un réalisateur plus âgé qu’elle de 25 ans. C’est le début du buzz impliquant Judith Godrèche et Benoît Jacquot.

Début janvier, Judith Godrèche prend la parole sur ses réseaux sociaux. Un geste anodin aujourd’hui pour de très nombreuses personnes. Mais loin de faire sa promo, elle a pris le clavier pour dénoncer l’envers du décor de sa relation avec Benoît Jacquot à la fin des années 80.
Elle était alors âgée de 14 ans, lui en avait 39. Pendant six ans, ils ont vécu comme un couple, comme si elle avait l’âge de donner son consentement, ou même de savoir ce que ce mot signifiait ! Elle n’avait même pas atteint la majorité sexuelle !

Un mois après sa dénonciation, elle porte plainte pour viols avec violence sur mineur de moins de 15 ans. Contre Benoît Jacquot, mais également contre Jacques Doillon, un autre cinéaste.

Benoît Jacquot et Judith Godrèche, violence et prédation

Nous sommes en 1986, et la jeune Judith Godrèche interprète le rôle de Catherine dans le film « Les mendiants », réalisé par Benoît Jacquot. Ils entament une relation qui va durer 6 ans.
Elle dénonce aujourd’hui les coulisses de ce que la société artistique de l’époque, bien avant le mouvement Metoo, considérait comme normal.

L’actrice pointe du doigt la prédation du cinéaste, l’emprise qu’il a exercée sur elle pendant toutes ces années. Ce qu’elle pouvait manger ou non, qui elle avait le droit de voir, elle raconte même qu’il lui interdisait toute contraception.

Ce qu’elle évoque, c’est tout un mécanisme de relation toxique et de dépendance affective. « Il devient votre maison. Il vous dit qu’il est votre maison. Et il crée en plus un système de manque où moi, très vite, je me suis sentie dépendante. » 

Elle mentionne également des violences physiques, sexuelles et psychologiques.

Suite à la médiatisation, de nombreuses personnes s’insurgent sur le délai écoulé entre les faits reprochés au cinéaste et la dénonciation. Comme souvent dans les cas de violences sexuelles, Metoo ou non. L’histoire de Judith Godrèche et Benoît Jacquot fait d’ailleurs écho à celle de Vanessa Springora et Gabriel Matzneff, relatée dans « Le consentement ». C’est en lisant cette œuvre que Judith Godrèche a entamé sa prise de conscience, remuée par les similitudes entre leurs deux histoires. Dans les deux cas, un artiste à succès qui couche avec une adolescente en toute impunité.

Benoit Jacquot réfute ces accusations, avançant qu’elle était âgée de 15 ans, âge de la majorité sexuelle. Il en parle comme d’une relation dont il dit sans scrupule qu’elle n’était sans doute pas légale (« J’avais pas le droit, je crois pas.) mais qui était librement consentie. Une jeune comédienne de 14 ans, Judith Godrèche, Benoît Jacquot le réalisateur de 40 ans qui règne en maître sur les tournages… Les calculs ne sont pas bons…

Après la plainte, Judith Godrèche mène le combat

Outre Benoît Jacquot, c’est tout un système que la comédienne dénonce.

Benoît Jacquot, Jacques Doillon pendant le tournage de « La fille de 15 ans » en 1989), et même Harvey Weinstein. Elle relate une agression sexuelle survenue en 1994 pendant le Festival de Cannes. Elle a réussi à éviter le pire et à s’enfuir, mais la production lui a imposé le silence. Elle n’avait que 24 ans, les affiches du film « Ridicule » portaient son nom… Judith Godrèche et Benoît Jacquot, c’est un cas comme tant d’autres. Trop d’autres.

Depuis la plainte de Judith Godrèche, d’autres comédiennes ayant vécu avec Benoît Jacquot ont raconté des histoires similaires : Laurence Cordier, Julia Roy ou encore Vahina Giocante.

Si elle a mis près de quarante ans à dénoncer l’emprise du réalisateur et les violences sexuelles qu’elle a subies, le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne se tait plus. Elle a créé l’adresse mail [email protected] pour recueillir des témoignages de victimes d’abus.

Le 8 mars 2024, lors de la Journée internationale du droit des femmes, elle a dénoncé l’inaction du gouvernement français face aux violences sexuelles. Vous trouverez facilement sur le web des vidéos de centaines de femmes l’entourant et scandant son prénom pendant une manifestation le même jour.
L’actrice a également demandé une commission d’enquête parlementaire sur le monde du cinéma, pour protéger les enfants. Pour que l’histoire de Judith Godrèche et Benoît Jacquot ne puisse plus se produire, dans l’impunité des plateaux de tournage.

Crédit photo couverture @Source : DFree / Shutterstock.com